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AUGMENTATION ADMISSIONS PSYCHIATRIE DE 1950 à 2005? 1 CITOYEN SUR TROIS: TROUBLE PSYCHIATRIQUE ! 1 SUR 25 : MALADIE MENTALE GRAVE! EPIDéMIE ACTUELLE ?

http://rms.medhyg.ch/numero-190-page-342.htm

Antonio Andreoli, Daphné Gaudry-Maire, Grégroire Rubovszky, Solenn Lorillard, Pilar Ohlendorf

Augmentation des admissions psychiatriques : un enjeu majeur de politique de soins

Rev Med Suisse 2009;5:342-344


Résumé

Ce travail se propose d’analyser les causes et les défis de l’augmentation des hospitalisations dans notre pays. Nos données indiquent qu’une pression grandissante s’est exercée sur les structures de soins hospitalières entre 1950 et 2000. Cette tendance pourrait s’expliquer par une gestion non appropriée de la demande en rapport avec un nouveau type de patient aigu plutôt que par une nécessité épidémiologique. Il est donc important de développer de nouvelles formes d’intervention de crise et de traitement aigu tout en recentrant le dispositif de soins sur l’hôpital général. L’étude des dynamiques régissant la croissance des admissions fait cependant apparaître que les progrès de la psychothérapie et de la recherche médicale sont entravés par l’entropie du système psychiatrique. Les facteurs en cause devraient être mieux étudiés.

 

Abstract

Introduction

Une étude vient de quantifier1 ce que les professionnels de la psychiatrie pressentent depuis longtemps : admissions et réadmissions psychiatriques augmentent dans notre pays. Cette nouvelle interroge à l’heure où certains auteurs,2 et même un journal aussi prudent que Le Monde,3 n’hésitent pas à affirmer que le retour des malades psychiatriques vers l’asile est en marche. La crise de l’état social et le conformisme ambiant aidant (n’avons-nous pas accepté l’internement à vie?), cela fait souci. L’asile, en effet, a une logique insidieuse, car c’est moins des murs, des camisoles ou des barreaux qu’une culture et une mentalité. De surcroît, la patrie des cliniques à visage humain, des psychotropes et du jumelage psychiatrie-psychothérapie reste fort attachée à ses hôpitaux psychiatriques et à leur place centrale dans les politiques de soins. Un nouveau désordre psychiatrique fait simultanément tache d’huile, qui nous renvoie à un retour du résidentiel et du sécuritaire, mais aussi à une crise des pratiques de traitements et de soins extrahospitaliers. Enfin, une grave dépression économique mondiale menace le financement de nos dispositifs d’assistance et de soins. Une bonne psychiatrie coûte cher, car les maladies mentales sont très fréquentes. Un citoyen sur trois présente un trouble psychiatrique structuré sur la durée de vie et un sur 25 une maladie mentale grave, ce qui signifie qu’environ une famille sur cinq et toutes les familles élargies abritent au moins une maladie psychiatrique grave. Rien ne dit, en somme, qu’on pourra s’en sortir une fois de plus en ménageant la chèvre et le chou, et qu’on ne sera pas sommés de choisir entre un plus grand hôpital psychiatrique et une psychiatrie ambulatoire plus efficiente. Mais notre psychiatrie est-elle prête à relever ce défi ? Le présent travail se propose d’analyser ce problème à partir des données que nous avons recueillies au cours des dernières années.

L’épidémie actuelle d’admissions psychiatriques semblerait en fait avoir été portée par des vents atlantiques : son onde de choc a rejoint depuis longtemps l’extrémité occidentale du Léman et cela nous a donc donné le temps d’étudier ses causes et ses remèdes possibles.

Augmentation des admissions psychiatriques: nécessité épidémiologique ou gestion non appropriée de la demande de soins ?

Notre examen suggère que la croissance des admissions psychiatriques relève moins de la nécessité épidémiologique que d’une gestion non appropriée de la demande de soins. 
Le profil du nombre d’admissions psychiatriques dans le canton de Genève au cours des années 1950-2005(figure 1) indique que la société et la médecine ont sollicité l’hôpital psychiatrique avec une intensité grandissante entre la fin de la deuxième guerre mondiale et aujourd’hui. On avait affirmé qu’une diminution du besoin d’hospitaliser en psychiatrie irait de pair avec la projection extrahospitalière de notre discipline :4c’est l’opposé, par contre, qui s’est produit. Deux constatations donnent cependant matière à réflexion: a) l’augmentation de la demande d’admission hospitalière avait commencé bien avant la transformation de la psychiatrie et aurait pu jouer, parmi d’autres facteurs, comme moteur de celle-ci et b) le diagnostic (non exclusif) à l’admission indique que la proportion relative des troubles psychotiques chute considérablement. La fréquence des troubles qui se réunissaient sous l’ancienne dénomination de psychose maniaco-dépressive est par contre stationnaire. Finalement, ces deux catégories de troubles constituent le petit sommet d’une pyramide dont la base s’est entre-temps élargie. La grande masse des admissions correspond au prototype d’un « nouveau patient aigu » qui présente des troubles affectifs mais remplit les critères pour de nombreux désordres distincts. Comme l’augmentation abrupte des urgences l’indique, la clinique de ces patients renvoie de plus en plus, au-delà des comorbidités, à une dérégulation aiguë, transitoire et polymorphe de la vie émotionnelle et donc à des crises de vie alliant l’événement et la vulnérabilité du contrôle de soi. La pertinence hospitalière du traitement de ces sujets est contestée,5 mais l’intensité du malaise en présence dépasse, en cas de crise, la capacité de contenance de la pratique ambulatoire classique, et cela dure, apparemment, depuis 50 ans. A partir du début des années ’90, les admissions en milieu psychiatrique de patients présentant des troubles psychotiques graves sont plus nombreuses. Ce phénomène résulte d’une augmentation très marquée de la « porte tournante » (réhospitalisations dans la même année). Ceci signale moins une diminution des ressources que des difficultés en rapport avec le fonctionnement et la culture des services. La tendance accrue au « placement » des patients plus graves dans des structures résidentielles, la suppression ou la diminution de l’aide sociale à la réinsertion et à la domiciliation dans la cité, la précarité grandissante des moins bien lotis et une pression sécuritaire accrue sont d’autres facteurs qui repoussent vers la structure hospitalière les patients les plus graves.

 
 

Agrandir la figure 1 
Volume et distribution des hospitalisations psychiatriques adultes à Genève : 1950-2005

 

Si l’on revient à la figure 1, on constate que l’augmentation des admissions connaît deux phases : décroissance au début des années ’80 et au début des années 2000. Ces deux moments coïncident avec la création de structures mieux adaptées à la gestion du nouveau patient aigu. Chez celui-ci, l’hospitalisation est une machine à réadmission, alors que la consultation ou la structure dite intermédiaire sont peu accessibles lors de crises. Faute de structures appropriées, les moyens considérables versés à la création d’un dispositif extrahospitalier se soldent paradoxalement par l’orientation du nouveau patient aigu vers l’hôpital psychiatrique, ce qui efface le solde actif de la prise en charge des patients plus graves dans la communauté. Dès que des structures pourvoyant une gestion extrahospitalière plus appropriée de la crise sont disponibles, le besoin d’hospitalisation commence à diminuer, bien que transitoirement (figure 1). La demande d’hospitalisation subit ensuite une impressionnante accélération parallèlement à la crise de la politique de secteur, avec une flambée du nombre de journées hospitalières. A nouveau, alors, le dispositif est réorganisé. C’est de l’histoire récente : le recentrage du dispositif de réponse à la crise autour de l’hôpital général par la création de possibilités d’hospitalisation de crise (y compris en statut non volontaire, à l’hôpital général) mais aussi la délégation à ce dernier du rôle de porte d’entrée et de gare de triage et d’orientation de la demande contrecarrent, alors, à nouveau l’explosion des admissions qui reviennent aux valeurs de départ (figure 2). Mais pour combien de temps?

 
 

Agrandir la figure 2 
Volume des hospitalisations par type d’hospitalisation : 1995-2005

 

Logiques du processus de montage de l’admission psychiatrique hospitalière et avenir du système de soins

A défaut de structures aptes à gérer le nouveau patient aigu, et d’une culture des services capable d’entretenir la flamme de la psychiatrie communautaire, la psychiatrie est donc exposée à un retour de coûts hospitaliers qui va menacer à terme ses équilibres institutionnels, son impact et son efficacité. Deux données importantes méritent cependant d’être évoquées. La première est politique. Alors que la psychiatrie subissait de très profondes transformations, le système tarifaire régulant le remboursement des prestations n’a pas suivi le mouvement et reste ancré dans la journée hospitalière et la consultation du médecin. Ce système à contre-courant prédestine la psychiatrie à se financer principalement par l’hospitalisation ou par l’impossible dialogue de la consultation, privée ou publique, et de la structure intermédiaire. Cela rejoint des a priori bien enracinés dans les mentalités. Un compromis a été toujours ménagé, qui a permis, envers et contre toute logique de gestion ou de cohérence clinique, d’utiliser l’innovation pour éponger les contradictions plus criantes, mais sans toucher pour autant à la position centrale de l’hôpital psychiatrique et au modèle factuel du trouble mental qui a mis en place cette institution. Logiquement, l’hôpital général devrait devenir le nouveau centre du dispositif psychiatrique en ordonnant du même coup la psychiatrie et la médecine à un seul et unique ordre clinique, juridique et administratif. Tel est aussi l’avenir préfiguré par la nouvelle loi genevoise sur la santé. Un appel symétrique à la création de structures psychiatriques de type carcéral montre cependant toutes les ambiguïtés de la situation. Rien n’est plus difficile que de faire dérailler le processus de montage de la crise consistant en l’assignation à résidence dans un ailleurs. Ce qui s’épuise ainsi sur une invisible barrière de craintes, d’oreillers de paresse ou de loyautés inavouables, c’est le projet d’affranchir l’humain en souffrance de son aliénation mentale en séparant les figures aspécifiques de la détresse ou de la déviance des signes pathognomoniques de la maladie mentale. Que l’ordinaire impensable de cette dernière, et de sa folie, soit désormais à la portée de notre capacité d’apprivoiser crise et chronicité par des soins et des traitements spécifiques, dont l’efficacité et l’efficience sont documentées, ne suffit pas. L’opiniâtreté de cet obstacle justifie peut-être l’effort par lequel nous nous sommes employés à montrer que l’admission hospitalière, autrefois rempart de toutes les limites d’une psychiatrie impotente face à sa mission médicale, est devenue, dans une psychiatrie qui s’est entre-temps pourvue de tout un arsenal d’outils de traitement et de soins, le meilleur allié de notre tourner en rond.

Conclusion

La relation avec l’aigu et le chronique qui relance tout autour de nous un appel incessant à l’hospitalisation de la maladie mentale correspondrait-elle finalement à une espèce d’entropie résultant à son tour du besoin humain ordinaire de se ménager une distance par rapport au fait psychiatrique ? L’un de nous a esquissé cette question dans l’éditorial de ce numéro. Tout le monde semble soucieux de se réserver un endroit où se décharger en douce de problèmes ou de vérités qu’on souhaiterait, non pas exclure ou réprimer, mais plutôt composer par des voies détournées. Nos patients désarçonnent, et d’autant plus facilement quand ils nous parlent de nous-mêmes et de notre propre mal avec la violence et la douleur de leur trouble psychiatrique aigu. Absit iniuria verbis : nous avons seulement cité Freud, et ce que le moteur silencieux de la névrose dégage tout le temps sur le fonctionnement de notre vie en societe... De quoi saluer, en somme, avec soulagement, une crise qui, en nous obligeant à être efficients nous libérerait enfin de ce manège insensé. A moins que, faute d’un rapport plus libre avec l’humain, et le trauma de l’abîme qui l’habite, cette même crise mette par contre en branle « l’arrière toute ! » d’un retour inopiné au passé et à ses fantômes obstinés.

 
Implications pratiques

 

> Les hospitalisations en milieu psychiatrique sont en augmentation surtout du fait d’un phénomène de réadmission des mêmes patients 
> La population de patients psychiatriques consultant en urgence a changé : des « patients aigus » pouvant bénéficier de soins ambulatoires spécifiques 
> L’hôpital général doit être un pilier central de la gestion de la demande de soins psychiatriques et d’hospitalisations spécialisées

 

Bibliographie

  1.  [*] Observatoire suisse de la santé (2008). Communiqué de presse no 0351-0811-00, 14.11 2008.www.bfs.admin.ch/bfs/portal/fr/index/news.html
  2.  Gros F, Chaumon F. Les politiques de la psy. Paris : Presses de science po, 2007.
  3.  Prieur C. Le président de la république engage l’hôpital psychiatrique dans un tournant sécuritaire. Le Monde, 3.12.2008.www.lemonde.fr/societe/article/2008/12/02/sarkozy-promet-70-millions-d-euros-aux-hopitaux-psychiatriques. (voir aussi autres articles associés du même auteur sur le même site).
  4.  Bachrach, LL. New direction for deinstitutionalization planning. New direction in mental health service 1983;17:93-106.
  5.  [*] Paris J. Is hospitalization useful for suicidal patients with borderline personality disorder ? J Personal Disord 2004;18:240-7.


[*] à lire [**] à lire absolument 


Abstract

This paper aims at investigating causes and potential remedies of increased psychiatric hospitalization in this country. The data suggest that there was growing pressure on psychiatric hospitals from 1950 to 2000. This may result from inappropriate management of a new type of acute psychiatric patient rather than severed epidemiology of acute psychiatric disorders. More focus on innovative crisis intervention programs emphasizing the central role of the general hospital in contemporary psychiatry may strongly contribute to better mental care. Despite significant advances in psychotherapy and medical research such an evolution is contended from the exquisite entropy of psychiatric systems. Those cultural and psychological factors associated with this issue require careful consideration and further studies.

Résumé



Contact auteur(s)

Antonio Andreoli, Service de psychiatrie de liaison et d’intervention
de crise (SPLIC)
Département de psychiatrie
HUG, 1211 Genève 14
 
antonio.andreoli@hcuge.ch
 

Daphné Gaudry-Maire, Service de psychiatrie de liaison et d’intervention
de crise (SPLIC)
Département de psychiatrie
HUG, 1211 Genève 14
 
daphne.gaudry-maire@hcuge.ch
 

Grégroire Rubovszky, Service de psychiatrie de liaison et d’intervention
de crise (SPLIC)
Département de psychiatrie
HUG, 1211 Genève 14
 
gregoire.rubovszky@hcuge.ch
 

Solenn Lorillard, Service de psychiatrie de liaison et d’intervention
de crise (SPLIC)
Département de psychiatrie
HUG, 1211 Genève 14
 
solenn.lorillard@hcuge.ch
 

Pilar Ohlendorf, psychologue
Service de psychiatrie de liaison et d’intervention
de crise (SPLIC)
Département de psychiatrie
HUG, 1211 Genève 14
 
pilar.ohlendorf@hcuge.ch
 

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